
La filière papier/carton dresse un bilan mitigé
posted Wednesday 30 April 2025
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Malgré un rebond de la production des papiers et cartons en 2024 (+6,3% en volume), Copacel pointe du doigt les nombreuses entraves (hausse de l’inflation, coût de l’énergie, une législation de plus en plus complexe, etc.) à la croissance de l’industrie papetière. L’emballage reste le secteur le plus dynamique, tirant la croissance de la filière.
Si de premier abord, la production française de papiers et cartons a progressé en 2024 de 6,3% en volume (pour atteindre 6,3 Mt) vs +5,2% en Europe, la croissance en valeur stagne à 1% (pour atteindre 5,7 Mds d’euros). En cause, une érosion des prix de vente par rapport à 2023, conjuguée à la très forte baisse de 2023 (-13,5%) partiellement effacée par cette hausse de production. Cette dernière est tirée par la croissance des papiers et cartons pour emballages (+6,5%) à 4,6 MT et des papiers destinés à l’hygiène (+5,5%), mais aussi, de manière plus ponctuelle, par celle des papiers à usages graphiques (bureautique, magazine, livre…) (+3,3%) dont la consommation déclinait depuis 20 ans. Ces évolutions positives ont pourtant un effet trompe-œil : la tendance globale depuis le milieu des années 2000 étant à la contraction de la consommation des papiers graphiques, compensée par une hausse des papiers et cartons destinés à l’emballage – la catégorie représente à elle seule 70% des débouchés contre 12,7% pour les papiers d’hygiène et 12% pour les papiers graphiques – due à la bonne dynamique du e-commerce et au mouvement de substitution plastique.
«Malgré la hausse de la consommation apparente, la demande en France et en Europe est restée faible. Par ailleurs, les distributeurs et transformateurs s’appuyant sur des niveaux de stocks encore élevés, n’ont pas rempli les carnets de commandes. Il faut ajouter à cela, une réduction des capacités de production, avec la fermeture de cinq usines au cours de l’année», analyse Pierre Bonnet, membre du bureau de Copacel et directeur général de Papeterie de Vizille. Celui-ci souligne le manque de compétitivité et de souveraineté de l’industrie papier/carton française, avec un retrait marqué de sa production (indice de production de la France : 74 en 2024 vs 2010 (valeur référence à 100) contre 106 pour l’Espagne et 83 pour l’Allemagne). Par ailleurs, si 59% de la production papetière française est exportée, la balance commerciale reste structurellement déficitaire (0,8 MT).
De nouvelles capacités pour le PPO
En 2024, après un recul important en 2023, la demande de papier pour ondulé (PPO) en France s’est stabilisée. En Europe, en dépit d’une hausse modérée de la demande, la production de PPO a progressé l’an passé (+4,3% par rapport à 2023). «En France, cette hausse (+6,1%) s’explique par la montée en puissance d’une nouvelle capacité de production mise en service en 2023 (VPK Normandie), ainsi que par une meilleure activité des usines déjà en activité», explique Christophe Dorin, membre Copacel et directeur investissement & technologie chez Wepa. Toutefois, l’arrêt définitif de deux sites de production en 2024 (Alfa d’Avignon et Papeterie Saint-Michel) a pesé à la baisse sur la production française. Au final, sur l’année, les prix des PPO ont légèrement augmenté (environ +5 % pour la cannelure). De nouvelles capacités sont attendues sur le marché européen en 2025, essentiellement dans le segment des papiers pour ondulé recyclés (Norske Skog en France, Heinzel en Autriche, Mondi en Italie, etc.). «Reste à savoir comment ces nouvelles capacités à venir vont influer sur l’équilibre entre l’offre et la demande de PPO», questionne le porte-parole de Copacel.
Carton plat et emballage souple en quête de reprise
Contrairement au PPO, les marchés du carton plat et de l’emballage souple – s’ils enregistrent des progressions en 2024 – ne parviennent pas à compenser la décroissance de ces dernières années.
S’agissant du carton plat, certains secteurs (industrie pharmaceutique…) en progression ont entrainé une légère croissance de la demande de carton plat en 2024. Ainsi, malgré l’arrêt de production de carton plat au cours du 1er trimestre 2024 (RDM Blendecques), la production française a augmenté de 2,9% en 2024. Bien que restés stables au cours des trois derniers trimestres de l’année, les prix ont enregistré une baisse par rapport à 2023, avec une variation moyenne avoisinant -14% sur l’ensemble de l’année. Pourtant, Copacel reste prudent : en 2025, plusieurs fermetures d’usines ont été annoncées en Europe, ce qui pourrait entraîner des ajustements dans l’offre. Sans compter sur une hausse des importations de carton plat en provenance de Chine qui pourrait déséquilibrer le marché européen, notamment dans des segments à forte concurrence internationale.
Du côté des emballages souples, le constat est somme toute assez semblable. La demande a été variable selon les secteurs clients, y compris au sein d’activités voisines (dans le BTP, maintien de la demande de sacs de grande contenance pour la rénovation, mais baisse dans le secteur du neuf). Par ailleurs, le commerce en ligne, la poursuite de la substitution du plastique par des alternatives à base de papier, et la recherche de «naturalité» par une partie des secteurs clients ont contribué à soutenir le marché. Dans ce contexte, la production française de papiers pour emballages souples a enregistré une hausse significative en 2024 (+24,3%), bien que cette progression ne suffise pas à compenser le repli observé en 2023. Malgré plusieurs hausses au cours de l’année, les prix des papiers pour emballages souples sont restés inférieurs à leur niveau de 2023, affichant un recul moyen de 4,7%.
Tensions sur les matières premières
Les hausses marquées du prix de l’énergie en 2022 se sont répercutées durablement dans les coûts de production des matières premières. Les prix des produits chimiques sont ainsi demeurés en 2024 à un niveau très élevé par rapport à la moyenne 2018-2021 (+26%). Impactés par la faiblesse de la demande, les prix des produits amylacés ont reculé en 2024 par rapport à 2023 (-33% en moyenne), mais restent largement supérieurs à la moyenne 2018-2021 (+27%) et la mauvaise moisson de 2024 pourrait avoir un impact haussier sur le cours futur de l’amidon. Les matières premières fibreuses ne sont pas en reste. Le volume des réceptions de bois de trituration a bondi de 12% en 2024 en dépit de difficultés persistantes en matière d’approvisionnement (météorologie, incertitudes juridiques, actions contre les travailleurs en forêt, …). Quant à la pâte à papier, si la demande chinoise a reculé (39% de la consommation mondiale), le cours de la pâte marchande a augmenté en 2024. En France, la production a progressé de 12% et il est prévu une montée en puissance en 2025 avec de nouvelles capacités à venir (UPM/Paso de los Toros ; Suzano/Cerrado). Enfin, du côté des Papiers et Cartons à Recycler (PCR), ils progressent de 6,2%, à 5 Mt. Les perspectives de démarrages de nouvelles usines utilisatrices de PCR (en France et en Europe) vont fortement augmenter les besoins. En effet, si la France ou le Royaume-Uni ont été ces dernières années structurellement excédentaires dans leur collecte de PCR, les besoins des nouvelles unités devraient modifier, voire inverser, cette situation pour certaines sortes, et ce alors même que la demande en PCR d’autres pays européens est appelée à croître également.
De nombreux freins à l’activité de l’industrie papetière
En première ligne de mire, la hausse de la fiscalité en 2025 (27 Mrds d’euros d’impôts en plus) est une entrave faite aux entreprises dans leur volonté à financer le développement de nouveaux produits, la modernisation de leurs équipements industriels et l’amélioration de leur performance environnementale selon Copacel. A cela s’ajoute le poids croissant de la fiscalité dite «environnementale», comme en témoigne la hausse des redevances liées au prélèvement d’eau et pouvant s’élever à 300% pour certaines entreprises. L’organisation professionnelle appelle donc à ce que la loi de finances pour 2026, dont la préparation débute dès ce printemps, introduise de nouveau une baisse des prélèvements (qu’ils soient de nature fiscale, sociale, ou encore liés à la fiscalité environnementale).
Autre enjeu de taille : celui du coût de l’énergie, que ce soit celle issue du gaz (GNL en remplacement de fourniture par gazoducs) ou de l’électricité. En ce qui concerne cette seconde forme d’énergie, Copacel déplore que la disparition programmée de l’ARENH (le dispositif permettant aux industriels de disposer de l’avantage concurrentiel que constitue le parc nucléaire français), prévu au 31 décembre 2025, n’ait toujours pas conduit à un mécanisme alternatif et appelle à des mesures volontaristes pour protéger les industries de la volatilité du marché avec la mise en place rapide d’un dispositif régulé.
Enfin, la complexification du cadre dans lequel opèrent les entreprises, que ce soit en raison de la législation française loi AGEC, Climat et résilience …) ou communautaire (Pacte vert pour l’Europe), génère de l’insécurité juridique et contribue au décrochage de l’industrie européenne. La filière pointe ainsi du doigt des réglementations comme le Règlement Déforestation de l’Union Européenne (RDUE) qui part d’une bonne intention, mais devient cauchemardesque dans sa réalisation. «Comment assurer la traçabilité entre la forêt et une ramette de papier (potentiellement, plusieurs centaines de parcelles forestières) ? Ce texte doit être simplifié avant d’entrer en application, le 30 décembre 2025», appelle Copacel.
Les enjeux à venir
Tout comme l’ensemble des industries, la filière papier/carton n’échappe pas à la question du renouvellement de ses salariés dont 40% partiront à la retraite entre 2025 et 2030. En dépit de métiers techniquement pointus, liés à des thématiques rejoignant les préoccupations de la société (économie circulaire, forêt) et mieux rémunérés que des emplois dans les secteurs des services, celle-ci fait face à des difficultés de recrutement. «Cette situation conduira à un renforcement de la communication de notre branche. Nous espérons que cet effort sera amplifié (ou au moins pas annihilé) par la sphère publique (Education nationale …) et les médias», commente Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel.
Enfin, l’organisation professionnelle reste vigilante quant à la récente guerre commerciale lancée par les Etats-Unis. Si elle aura un impact direct limité (seul 1% de la production française est exporté aux USA), il n’en reste pas moins que des effets ricochets (recul des emballages destinés aux vins et spiritueux …) sont attendus. Pour Christian Ribeyrolle, président de Copacel, «notre pays enregistre un taux de croissance moindre que celui de l’UE et anémique par rapport aux États-Unis. De surcroît, la guerre commerciale qui démarre bridera l’activité économique. Dans ce contexte, nous attendons que la puissance publique s’attaque aux quatre chantiers que sont la hausse de la pression fiscale, le coût de l’énergie, la complexification de la vie des entreprises (notamment celle issue du Pacte Vert de l’UE) et l’attractivité des métiers industriels».